17
juillet 1970
Mon
cher Premier Ministre,
J'ai
eu par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du
Ministre de l’Équipement – Direction des Routes et de la
Circulation Routière – dont je vous fais parvenir photocopie.
Cette
circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été
communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son
application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris
l'existence.
Elle
appelle de ma part deux réflexions : la première, c'est qu'alors
que le Conseil des Ministres est parfois saisi de questions mineures
telles que l'augmentation d'une indemnité versée à quelques
fonctionnaires, des décisions importantes sont prises par les
services centraux d'un Ministère en dehors de tout contrôle
gouvernemental ; la seconde, c'est que, bien que j'aie plusieurs fois
exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder
"partout" les arbres, cette circulaire témoigne de la plus
profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la
République. Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le
long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité.
Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de
prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux
électriques ou télégraphiques. C'est que là il y a des
Administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont,
semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que
cela ne compte pas.
La
France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de
circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes
de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son
paysage. D'ailleurs, une diminution durable des accidents de la
circulation ne pourra résulter que de l'éducation des conducteurs,
de l'instauration des règles simples et adaptées à la
configuration de la route, alors que complication est recherchée
comme à plaisir dans la signalisation sous toutes ses formes. Elle
résultera également des règles moins lâches en matière
d'alcoolémie, et je regrette à cet égard que le gouvernement se
soit écarté de la position initialement retenue.
La
sauvegarde des arbres plantés au bord des routes -et je pense en
particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes- est
essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la
nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain.
Je
vous demande donc de faire rapporter la circulaire des Ponts et
Chaussées, et de donner des instructions précises au Ministre de
l’Équipement pour que, sous divers prétextes (vieillissement des
arbres, demandes de municipalités circonvenues et fermées à tout
souci d'esthétique, problèmes financiers que posent l'entretien des
arbres et l'abattage des branches mortes), on ne poursuive pas dans
la pratique ce qui n'aurait été abandonné que dans le principe et
pour me donner satisfaction d'apparence.
La
vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera
de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de
beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont
d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour
l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le
chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on
emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que
l'on se garde de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté
!
Commentaires