Romano - Cyrulnik "Au risque de psychiatriser la tristesse."

Libération Vendredi 12 juin 2015 Page 19 - Extraits

Boris Cyrulnik : Quand on est malheureux, on a surtout besoin d'être serré par quelqu'un qu'on aime, de régresser, de bénéficier d'une présence et de gestes tranquillisants. Ce n'est pas pas ç la psychiatrie de régler le deuil.

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Hélène Romano : Les blessés psychiques ont avant tout besoin d'une vraie reconnaissance de ce qu'elles ont vécu. Pas de pitié, pas de charité. Et pas de mots déplacés. Quand vous dites à une mère qui ne sait pas si son enfant est mort dans un accident de bus : « Ça va aller, madame », vous niez l'horreur que vit la personne. Il y a aussi beaucoup d'intervenants qui « forcent » à parler. On ne doit pas obliger les gens à parler. Pas comme ça. Il y a aussi des tas de précautions à prendre pour ne pas majorer les risques de troubles. J'ai ainsi vu des gens regrouper les victimes d'un incendie face à l'immeuble encore en feu !

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Hélène Romano : […] Le deuil n'est pas une maladie. Que les gens soient tristes, qu'ils pleurent, c'est tout à fait sain : ils manifestent une souffrance face à la perte.

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Boris Cyrulnik : […] La psychiatrie est à la fois nécessaire et abusive. Encore une fois, le deuil et la souffrance font partie de la vie. Aujourd'hui, on voit des gens qui se font prescrire des médicaments à la mort de leur mère, et disent, six mois plus tard : « J'ai honte de ne pas avoir souffert de ce deuil ». De même que ce n'est pas à la psychiatrie de régler le problème de ces supposés « mauvais élèves » sur lesquels on se focalise aujourd'hui. On est en train d'en faire un problème médical. Pourquoi pas psychiatriser aussi le premier chagrin d'amour ?


Hélène Romano et Boris Cyrulnik
Je suis victime,
l'incroyable exploitation
du trauma
Ed. Philippe Duval
collection Science Psy.

http://www.liberation.fr/vous/2015/06/11/les-cellules-psy-sont-devenues-un-gadget-politique_1327744


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