EXPOSITION JUSQU'AU 5 JANVIER 2013 - HOTEL DE VILLE D'ALLONNES (72)



Je cherche, dans ces textes qui accompagnent l’exposition « Omnia vincit amor », à décrire la mécanique qui conduit à l’acte créatif. C’est là le seul rapport avec mon travail plastique :
qu’est-ce qui se met en jeu ?
qu’est-ce qui se met en mouvement ?
qu’est-ce qui se transforme ?
Je flirte avec mon ignorance.

 
Je souhaite tout dire

Tout ? : la globalité du monde.
On me dit humaniste baroque, kitschissime parfois.
Comment ? : comme je le peux, avec ce que je veux, ce que je peux, dans chacune des pièces que je présente, dans chaque tentative artistique.
Pourquoi ? Lorsque j’écris que « je souhaite tout dire », on pourrait y voir l’expression d’une volonté d’airain, celle d’un fou bâtisseur ou un désir d’avouer… Il s’agit bien davantage de l’expression d’un tempérament.  Une complexion mentale qui s’est construite au fil du temps, une structure intime de l’esprit qui édifie l’ensemble de mon être. Je suis de complexion baroque…
Notre capacité à inventer, à imager n’a d’autres bornes que celles que fixe notre morale.
La morale. Voilà bien, à mes yeux, la véritable régente de toute ma vie. Elle se construit au fil de mes expériences & me construit tout autant. La réciprocité, la duplicité, la dualité, le paradoxe sont de mise à tous les niveaux de ma pensée ou de mes observations.
En premier lieu il y a cette forte angoisse de la mort, de la disparition… Être. Être là, dans ce temps-là, par hasard… Ce vide immense, ce néant, cette existence que l’on m’a offerte, noyée dans cette « mer de fertilité »… Les déchirures de l’enfance, les maux du monde, les souffrances à portée de mains, les injustices, constituent le substrat originel où se formera une insatisfaction permanente.
 Second lieu : cette insatisfaction primordiale d’où naitra le besoin de faire. Faire pour se sentir malgré tout.

La morale détermine la nature de tous mes actes, de mes gestes de peintre. C’est elle qui autorise, qui entrebâille les portes vers mes inconnus. Elle est permissive.
Elle est molle, d’une nature expansive. Elle est l’humeur parfois bienfaisante qui circule dans mes artères. Huile épaisse et dorée de l’olive crue pressée qui s’écoule lentement, comme une essence − essence organique.
Elle refuse les hiérarchies parce qu’elle ne les comprend pas & si elle les comprend, elle les fuit parce que celles-ci ne provoquent qu’appauvrissement.
Devant Bouddha je suis Bouddhiste ; dans une Synagogue je suis Juif ; devant le Christ je suis Chrétien…
Tenter de dire la globalité du monde, c’est tenter de dire sa diversité sans hiérarchie. Rendre compte d’une vision du monde qui ne se satisfait pas des chausse-trappes des morales anciennes. Du bien et du mal je ne prends rien tel quel. Tout est sacré. (Allons écouter A. Ginsberg…). Aimer est aussi sacré que penser. (Cf. V. Hugo. Écrits politiquesLe Livre de Poche.)

L’art est une conséquence morale de mon existence − de passage…

Je ne crois pas aux lumières d’un au-delà déchirant la noirceur du tombeau, la chair fécondée. Nécessité d’être aujourd’hui, état de l’être conscient : un corps en trois dimensions, des organes de perception incorporés qui lui permettent de sentir le monde et ses vibrations, d’imaginer le temps. Être peintre, faire de l’art (plutôt que rien) pour appréhender cet extérieur demeurant insondable puisqu’il n’a d’existence véritable qu’en moi, dans ma plus stricte intimité.

La morale, telle que je tente de la décrire dans ses actions immédiates, moule, colore, trace toute ma vie, mes visions de ce monde. D’elle découle l’esthétique qui s’échafaude à chaque pièce… L’esthétique est une mise en scène organique de la morale.
On aurait dit, dans ce cadre-ci, au XIXème siècle, que d’elle découle la manière du peintre… Manière d’être, manière de faire, manière d’écrire, manière d’envisager la réalité… Au XXè siècle, à la manière s’est substitué le concept, qui vise de par sa nature même à segmenter, hiérarchiser, et souvent à appauvrir les pratiques en les limitant à ses propres contours. 

Je ne cherche ni ne crée les concepts a priori. (Les concepts créés par les philosophes − c’est leur métier − sont des outils de vie.)
Les concepts découlent de la manière, ils se dégagent de la matière, comme un paysage où un gisement invisible affleure déjà pour le géologue.
Ils agissent comme un éclairage violent découpant les formes complexes en surfaces simples d’ombre & de lumière. Si je fais cette recherche dans mon propre travail, se révèlent invariablement ceux-ci : cadre, fragment, métonymie, réciprocité…

Faire, faire nécessairement, puisque faire me maintient là, dans cet état de vie, d’être pensant, agissant. Faire parfois avec frénésie, comme si les nerfs réclamaient leur dose d’action en échange d’une certaine docilité. Faire de la peinture. Produire des œuvres d’art.


Peindre lorsque la peinture se fait désirer

Degas disait que la peinture intervient lorsque le dessin n’est plus suffisant : la peinture comme nécessité pour aller au-delà de quelque chose.
Au-delà d’un premier état, d’un état qui ne serait pas satisfaisant, au moment même où la chose apparaît dans ses diverses métamorphoses.
Les métamorphoses graduent le temps de création, le temps du faire. Ces graduations ne sont pas fixes, régulières, au contraire des marquages métriques. Elles échappent à la maîtrise de l’artiste et ne lui sont perceptibles qu’à la condition d’un effort de concentration sans relâche.
Elles accaparent toute la pensée de l’artiste. Ses rêves, parfois, arguent en faveur de quelques nouvelles hypothèses, de nouvelles directions à prendre.
L’artiste met en place un dispositif permettant à ces métamorphoses d’avoir lieu. Ces métamorphoses ont une existence qui se révèle dans la matière qu’il travaille. Mais le siège de leur existence n’est pas là. Il est à l’intérieur de l’être & c’est l’être entier qui se métamorphose. Sa vision du monde est bouleversée, inattendue, particulière, énigmatique.
Désir ou nécessité de transformer le monde & de s’y retrouver, malgré l’opacité oppressive des siècles de civilisation qui précèdent l’acte créatif singulier ; ce à quoi s’essaie l’artiste. Le temps des cadrans est dissout.
Cette dissolution du temps est partielle et superficielle, analogue à la dissolution des corps – série de métamorphoses lentement échelonnées, aux limites estompées.

Ces mouvements successifs des métamorphoses, ces mouvements de mutation, créent une sorte d’addiction, ou plus exactement peut-être une mécanisation à l’intérieur de l’être. Il y a un incontrôlable dans cette pratique. Il y apparaît même comme une recherche du moment qui s’échappe, de la matière qui se métamorphose involontairement.

Mon travail de peintre est fait de petits vertiges, de regards jetés au fond du puits.


Au hasard agissant

Toutes les formes d’art qui se sont révélées à l’humanité s’épousent aujourd’hui, s’adoptent, s’adaptent, se complètent, se renforcent, s’intensifient l’une l’autre.
Je suis un artiste mondialisé, depuis toujours.
Aucune privation. Piochons, laissons-nous envahir des émotions contenues dans toutes ces œuvres du passé. Le musée imaginaire de Malraux est une vision de cette cueillette mondialisée. Télévision, web, livres, musées entrechoquent les œuvres d’art de tous les territoires, de toutes les civilisations, de toutes les époques. Ces chocs technologiques arbitraires les embuent d’une nouvelle lumière, de nouvelles métamorphoses, de nouveaux espaces poétiques. En se métamorphosant dans cette orgie planétaire, les œuvres d’art disloquent les savoirs particuliers, les patois oubliés redeviennent véhicules de vérités & apparaît alors une sorte de « langage » universel.
L’artiste rend – comme on rend son repas, quasi méconnaissable – une partie de ce qu’il a reçu ainsi, sous une autre forme, adaptée à son âge, son époque et ses mœurs…
Dans le monde de l’art (comme n’importe où dans le monde), je fais mon marché en fonction des saisons de mon esprit, de mes états d’âme, de mes vides et de mes pleins, selon ma faim.

Je ne me dois pas de maîtriser les millénaires de civilisation qui me précèdent.
Je ne dois pas contrôler les flux et reflux de ma pensée.
Je dois apprivoiser le hasard. Le hasard est l’artisan-bâtisseur. Il est l’ennemi si on le réfute, il est l’ami si on lui rend grâce. Tel Dieu ? Oui, tel.

Je regarde agir, je regarde la peinture se faire, de mieux en mieux.
Apprivoiser le hasard,  entrer en connivence avec cette force ordonnatrice, c’est accepter d’être un instrument au service de la création d’une œuvre d’art, un intermédiaire…
Le hasard apparait en pleine lumière lors d’une chute, d’une juxtaposition « involontaire ». J’ai la pensée en balade hasardeuse.

Le choix des matériaux m’incombe. J’amasse objets, couleurs, images, etc., que j’aime.
Chaque objet que je choisis est chargé de dégoût, de peur, d’inconnu fascinant. Il se manifeste par le sentiment du beau, dont la clé est le dégoût. Le beau repousse intuitivement, autant qu’il accaparera.
Chaque objet ramassé au sol porte en lui la marque atroce de la mort, métamorphose en cours des tissus vivants. L’identité de l’être résumé en un signe : petite boite crânienne amochée & dense comme une perle, creuse ; touffe de plumes concentrant toutes les énergies des vols éperdus du passereau – sa voix s’est égarée.
Chacun me renseigne sur moi, me tend un miroir où mon ignorance sécrète ses déserts.
Quant aux goûts, ils sont une hypothèse. Ils constituent un ensemble minimal de signes suffisant à m’identifier, à me reconnaître & à être reconnu dans & par le monde – le plaisir de se retrouver dans l’Autre, de s’enticher, d’y être. La civilisation perfuse le corps individuel, l’innerve de ses goûts réconfortants. On crée une partie de son identité sur un malentendu. Qui choisirait ses goûts ?

Se réfugier dans les no man’s land interstitiels, minuscules territoires où la beauté respire encore, indifférente, immuable & sereine : la vie s’y tient puissante & sans peur  − dans la moindre bactérie.

Est beau ce qui me rapproche de moi, ce qui me détourne de mes goûts, ce qui égare.
Est beau ce qui m’enseigne, me renseigne sur ce que je suis, force les idées reçues − les sentiments reçus, cultivés – à coup de pinces-monseigneur.
Est beau ce qui illumine merveilleusement la vie de magie.

Dans l’atelier (où se jouent les choses), tout y est, confusément. Chaque énigme (ou chaque mystère) contenue par chaque objet s’additionne. Le tout constitue un capharnaüm électrisé : le plus précis reflet de celui que je suis en train de devenir. C’est cela que je dois maîtriser au mieux.

C’est donc en tentant de répondre à cette interrogation : « qu’est-ce que j’aime ? », inlassablement, que je peux espérer m’entrevoir. Au fil des années, j’ai transformé cette question en injonction. Une manière d’aborder la question philosophique du « connais-toi toi-même » pour connaître le monde, pour « reconnaître » le monde qui est en moi, qui me construit. Reconnaître ce qui vient du monde et ce qu’il faut rendre. Sans quoi pas de choix véritable, pas de pensée singulière, pas d’acte créateur. (C’est l’élimination – la soustraction − qui est la première étape du travail de l’artiste.)
Le hasard agit au sein même de cette organisation à la fois matérielle et mentale. Il est une des composantes de l’improvisation. Il doit me tenir la main légèrement & fermement. C’est lui qui devient la modalité d’action souhaitable. Que sa volonté soit faite et que la mienne se taise, que mon âme s’émerveille de ses révélations, de ses beautés et se repose enfin.

Au hasard agissant correspond l’intuition réflexive. Elle remplace alors l’effort de la formulation fragmentaire, contournant, excluant, ordonnant le réel jusqu’à l’abstraction. C’est ce dont dispose la réflexion consciente, habituelle, rationnelle, objective. Elle fabrique un réel segmenté qu’il faudra repeindre…
La peinture est un archaïsme vivant, une source de savoir qui ne se diffuse pas par les canaux habituels du langage. Elle nous propose une relation intuitive, c’est à dire globale, instantanée et immédiate.
L’art transmet un savoir que nos mémoires individuelles sont incapables de formuler.
Ce savoir a la particularité de se déverser sans que le regardant n’ait quoi que ce soit à faire et modifie de manière irréversible la structure mentale et/ou intellectuelle de l’être.

Chaque geste de l’artiste au travail, chacun de ses apports tient compte d’un ensemble. L’artiste intervient avec la conscience des métamorphoses inconnues à venir,  de l’ignorance du devenir qui se produit là et qu’il découvre, sur lequel il doit agir sans le ruiner.

La conception créationniste du monde des Anciens me convient bien. Le monde était une œuvre d’art… La responsabilité de l’homme y était amoindrie dans les affaires de l’Univers, qui occupaient les dieux.
L’homme doit cultiver son champ et honorer le hasard. Pour le reste, qu’il s’émerveille sans crainte de ce qu’il perçoit.

Alors, quoi de neuf ?

Nouvel atelier : c’est une cave, 12 m2 d’espace libre. Soupirail d’où la rue s’infiltre.  Les objets sont rangés. Les peintures remisées au grenier. Les photos prises. 
Trois chaises n’ont pas été photographiées. Trois choses faites.
Elles sont devenues des objets/installations/peintures, admettons des volumes polychromes.

Ces volumes ont quelques analogies avec la photographie :
-  ils sont en relation de vases communicants avec la peinture, quoique plus proche ;
-  ils empruntent au réel un vif morceau, arraché, découpé, cadré ;
- ce qu’ils empruntent est ce qui constituera leur os, le signe par lequel on les percevra, par lequel on ira jusqu’à les nommer.

J’ai tenté dans ces trois pièces de me rapprocher d’un geste qui soit gratuit, comme un chien qui s’ébroue, pour se sentir différemment là.
Le désir qui est à l’origine de ce triptyque s’était enfoui, dans une attente − une amnésie salutaire. Le vide est un repos. Le néant dans la chair nous rapproche du monde. Il y a des vertiges en chute qu’il ne faut pas hésiter à quitter dès que la pression semble s’inverser. Ce désir s’est épanoui là, puisque tout lui semblait idéal.

Ce désir incarné s’accompagne de cette rêverie récurrente :

« C’est en bois blanc, poudreux, crayeux, tendre. Les formes apparaissent et s’absentent. C’est comme un squelette carné et nerveux qui se formerait. Peut-être un exosquelette… La matière brunit aux endroits poncés vivement, brûlée. On y reconnaît vaguement la rythmique des côtes du Bœuf écorché de Rembrandt, les 4 pattes tranchées, animal décapité, une sorte de torii rouge cherche à prendre place…
C’est une représentation symbolique du corps torturé, poli, canalisé, sensuel, assoupi comme en écho à la Civilisation.
Il y a du mouvement dans ce mot-là.
Dans la noirceur des ors triomphants, on entend les grondements assourdissants des conquérants ; dessus, dessous, dedans, parmi, vacillant, oscillant, les cliquetis des poètes.
Miroir sans tain ; corps en creux ; un vide habité. 
C’est une chaise dont je rêvasse. »

Je suis resté dans le prolongement du rangement − rangement aléatoire, rangement par la couleur, par analogie et association.

« [..] Sur le débarcadère, des douaniers ouvraient les colis, et, à travers les ais des caisses entrebâillées, dans la paille à demi écartée, sous les toiles d’emballage, on distinguait des objets étranges, deux longues solives peintes en rouge, une échelle peinte en rouge, un panier peint en rouge, une lourde traverse peinte en rouge dans laquelle semblait emboîtée par un de ses côtés une lame épaisse et énorme de forme triangulaire.
Spectacle autrement attirant, en effet, que le palmier, l’aloès, le figuier et le lentisque, que le soleil et que les collines, que la mer et que le ciel : – c’était la civilisation qui arrivait à Alger sous la forme d’une guillotine. » Victor Hugo (Extrait de « À Alger – 1842 ». Choses vues –1830-1854 – La Palatine 1962.

 J’ai tenté de faire une chose.
Si elle n’avait été inventée, la chaise aurait été l’œuvre idéale de toute ma vie.


Description de eux d'entre elles
Esthétique religieuses
Les torii rouges (« là où sont les oiseaux ») aux pieds noirs

I

La chaise en bois pour bébé est peinte en rouge. Les éléments en métal sont dorés (charnières, ressorts…). Elle se déplie pour former une chaise basse prolongée d’un plateau. 4 roulettes en plastique doré permettent de la déplacer aisément.
Sur le siège une pierre du Pays de Caux, blanche & crayeuse. Se fiche au centre (jusqu’au centre ? quel centre ? au bord du bord de la masse intérieure, sans limite définie, vierge de tout regard) un fragment d’arbre, petit arbre déraciné, arbuste de haie, haie dessinant à ras de terre une frontière. Territoire de surface, il en est tout autrement en dessous, où la partie souterraine de l’arbre faufile ses branches dans l’ombre de la terre. En dessous, dans la fine pellicule de terre arable, les frontières façonnées à la surface sont sujets à la moquerie. Sourires des écorces amusées.
Le fragment du petit arbre se termine par une touffe hirsute de branches claires taillées sec par le jardinier. Méli-mélo & entrelacs. La peau du tronc arqué est peinte de bandes bleues et blanches alternées : frontière aérienne, membrane intermédiaire entre l’arbre et le reste de l’univers. Signalétique dérisoire.

Chaise de bois, barreaux du dossier, planche du siège, babillements, peau translucide, veines bleues, graisse et muscles, os mollasse, dans l’œil est encore visible le reflet des abysses qu’il vient de quitter ; le bébé regarde vers l’Autre Porte, celle qui le reconduira…

II

Un prie-Dieu peint en rouge. Il n’y a pas de siège à proprement parler, c’est un agenouilloir près du sol. On s’y agenouille, coudes sur l’accotoir, colonne vertébrale verticale ou courbée légèrement, les pieds reposent au sol sens dessus dessous.
Cette chaise difforme ne sert pas à se reposer. Elle ne sert pas au corps à se détendre. Elle suppose un effort constant pour s’y maintenir. (Un ami veut l’essayer. Goguenard, il s’y précipite, plie la jambe gauche, l’autre fléchit par conformité. À peine a-t-il touché l’agenouilloir qu’il se relève brusquement comme s’il avait été touché par une décharge de 10000 volts. Même recul que lorsque l’on touche une clôture électrique. C’est que les genoux sont sensibles…)
C’est un outil un peu cruel qui sert à élever notre âme.
Sur l’accotoir est posé un coquillage (30x15cm), bouche béante, nacrée, nuancée de tons crème, caramel, laiteux. Des sillons beiges séparés par des reliefs marrons contournent d’un ruban irrégulier ses lèvres baroques lourdement ourlées. De cette bouche baillant − pour le temps d’éternité qui lui appartient − dégoulinent des lanières translucides de papier végétal rouge coquelicot.
Ainsi a-t-il été fait.

Hommages

Aux sages et aux pierres,
aux falaises du Pays de Caux défoncées minutieusement par la mer écumante, depuis des millénaires.
Spectateur amoureux de la mer, au bord, satisfait, envahi, aboli.
Silence.
(Fascination du silence de la peinture)
Aux peintres…
À Rembrandt qu’on visite régulièrement, à Titien qu’on désire tant, à Dürer que l’on scrute jusqu’à satiété… La terre scintille de tous ses morts sous nos pieds.

À la peinture : confettis de haillons jetés dans le plomb du ciel, bouleversante chute chorégraphiée par les bises aléatoires.
Limites supérieures, limites du haut, nos regards se cramponnent à l’espace sans queue ni tête, sans haut ni bas, jusqu’à la crampe fatale.



Extériorisons, imageons nos intérieurs les plus reculés, nos peaux de chagrin, nos lambeaux désespérants et magnifiques.
Notre monde intérieur est vôtre.
Richesse inouïe que cet inventaire de la vie que nous donnent à contempler les œuvres d’art qui s’accumulent dans nos cerveaux-caves-coffres-forts-musées.

« Extravaguez !» nous enjoint Victor Hugo dans « Le promontoire du songe ».  Promontorium somnii est un volcan lunaire. Hugo y voit, au travers d’un télescope, le jour se lever. Il en est bouleversé.
Il y a de l’urgence là-dedans.
Aimons ! Libérons ! Rêvons ! Jouissons ! Extravaguons !


Omnia vincit amor,
Paradoxale rage d’être là.



Je dédie cette exposition à ma compagne, Nathalie.
Alain Leliepvre – Octobre 2012

EXPOSITION JUSQU'AU 5 JANVIER 2013
HOTEL DE VILLE D'ALLONNES (72)

Les mots fondent le réel décrit, la vérité approchée, l’existence en un même songe – la morale est une chaussette réversible, un intermédiaire entre moi et le monde mouvant.







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