MAXIMA - MINIMA

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"Durant ces temps-là ce sont les méditations de Pascal Quignard et les travaux de Pascal Kern qui accompagnaient le plus souvent mes propres dérives. Ce recueil "maxima-minima" leur est dédicacé."



Préface

Déambulations photographiques : je marche, l’appareil photographique au poignet.

Dérives photographiques : je marche sans but sinon celui d’être mobile.


Ma mère a gardé les mules de mon père dans le placard à chaussures, dans l’entrée. Simili cuir bordeaux, intérieur marqué de l’empreinte du pied. Empreinte noire, précise. Pointure 45. La dernière photographie de cet ouvrage devait être celle-ci : les dernières chaussures de mon père à côté des premières chaussures de mon fils. Les mules de mon père pourrissant, ma mère les jeta quelques jours avant que je veuille les emprunter. J’ai souvent ce petit temps de retard sur les événements. Je ne suis pas un pronostiqueur.


Être mobile aux deux-centième de seconde. Je me couche, parfois je rampe presque, je m’accroupis, m’agenouille devant mes sujets. Photographies reptiliennes.


Les matières, les surfaces, les traces m’arrêtent. Ce sont des objets dans la rue que je photographie. Tous les grains des surfaces ont en filigrane le souvenir de la peau et de son odeur.

La peau dorée et brune, presque noire par endroits des mains de mon géniteur (04.11.1910 – 15.11.1971). Leur odeur de sueur et de poussière d’aluminium, âcre et suave. Métal et chair. Les paumes étaient claires et dures.

Empreintes de la peau.


L’appareil photographique est l’outil qui enregistre ces dérives-ci. Les photographies sont des espaces de lumière où s’écrivent mes méditations. Des suites d’images qui finissent par former un recueil. Fin d’une obsession.


Maxima-minima est une liste comme certaines prières qui sont ânonnées.

La prière du cœur est une pratique orientale qui consiste à mécaniser la prière en l’impliquant dans le rythme de sa respiration. La respiration est un engrenage.

« Il ment comme il respire. » Je produis de l’art comme je respire.

Van Gogh voulait être une machine à peindre.


La première partie se souvient de Karl Blossfeldt.

La seconde partie se souvient de Anton Corbijn.

La troisième partie se souvient de mes rêves japonais.

La quatrième partie se souvient de Julian Schnabel.

La cinquième partie se souvient de Pascal Kern.


(Certaines images de "Maxima -minima" et la totalité de la cinquième partie sont des images faites à l’atelier.)


Pascal Kern était un homme de grande de taille, traits du visage réguliers, arrêtes du nez droites, yeux clairs. Il fut l’un de mes professeurs à l’école des Beaux-arts. Je ne me souviens plus du cours qu’il tenait. Je me souviens qu’il m’apprit à parler, à ne pas avoir peur de dériver dans la pensée. À ne pas avoir peur d’essayer des mots, à conceptualiser. Et ceci je crois parce qu’il me semblait en incapacité de reformuler (ce difficile et parfois superfétatoire exercice de l’art de la reformulation que réclament la plupart des pédagogies).

Il travaille avec l’objet, son échelle, sa couleur et sa spatialisation en deux dimensions (la photographie). Les cadres – Kern joue avec une très grande maîtrise sur l’ambiguïté du « sculpteur photographe » – sont en métal ou en bois. Ils accentuent la dimension sculpturale de son travail de photographe en faisant échos aux matières des objets qu’il choisit. Les cadres sont lourds. Les objets photographiés sont à l’échelle un. Il a beaucoup photographié des moules industriels de grandes dimensions. Les couleurs qu’il donne à voir sur ses grands formats Cibachrome relèvent de la sensibilité des coloristes que j’admire. Je ne pense pas aux peintres du XIXè ni à ceux du XXè mais sans doute davantage à ceux de la Renaissance, à Botticelli. Son travail pourrait être aussi une sorte d’intelligente suite de l’œuvre de Chardin.

Je n’ai pas pu lui dire à quel point son travail m’avait ému. Il s’est suicidé le 15 mai 2007.


La cinquième partie est plus qu’une souvenance. C’est un hommage à son œuvre. S’il faisait des œuvres à son échelle, c’est à dire monumentales, moi je suis (ici) dans le portatif.


Rendre hommage à l’œuvre d’un artiste consiste à respirer son air. Se mettre au plus près de son rythme.

Épouser un autre monde le temps qu’il faut.

Garantir sa propre liberté en entrant dans la maison de l’autre.

Se coucher dans d’autres espaces.

Se déloger de soi-même.

Au Mans, septembre 2008

Alain LELIEPVRE

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